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LIVRE

 

 

Précieuse Malédiction
 

 

Precious Bane, publié pour la première fois en 1924 est la sixième œuvre littéraire de Mary Webb portée à la connaissance du public.

L’histoire se passe près de l’étang de Sarn, dans la campagne anglaise au tout début du dix-neuvième siècle. L’héroïne, Prudence Sarn, ou Prue, est également la narratrice, et elle se propose de nous raconter son histoire et celle de ses proches.

Elle se rend vite compte qu’elle n’est pas comme les autres jeunes filles car elle est affligée d’un bec-de-lièvre, et si cela ne la trouble pas outre mesure, le regard des autres lui fait bien comprendre sa différence.

Son frère, Gédéon, n’a qu’une idée en tête : devenir riche, et il mettra tout en Å“uvre pour y parvenir, sans jamais se rendre compte de ce qu’il fait endurer à sa famille. Les péripéties et aventures s’enchainent, et la sensibilité avec laquelle Prue nous fait part de toute cette histoire ne peut pas nous laisser indifférent.

Si la tragédie n’est pas loin, l’histoire se termine pourtant bien pour le plus grand bonheur des lecteurs.

 

Le titre

— Et si tu travailles dans une laiterie ou quelque chose d'autre, tu te languiras comme moi.  C'est pas long trois ans. A la fin des trois ans, toutes les terres labourées devraient avoir un  bon rendement, et on récoltera ce qu'on a semé.

— Dieu nous en garde, dis-je.

Gédéon se mit en rogne, même si je n'ai jamais compris pourquoi, et s'écria :

— Quoi, maintenant ? Pourquoi tu dis ça ? Je serai bien content de récolter ce que j’ai semé.

— Mais pas si c'est le poison, Gédéon ? Pas si c'est le poison si précieux, la malédiction dont parle le livre que le pasteur m'a prêté ? Tu ne veux pas ça dans ton blé, mon garçon, cette chose qui pousse en enfer ?

 

Ce livre, dont Prue parle, et d’où le roman tire son titre, est  Paradise Lost de John Milton. L’extrait dont il est question est le suivant :

                Let none admire

                That riches grow in Hell; that Soyle may best

                Deserve the precious bane.

 

Ces vers ont été traduits par Châteaubriant, les voici :

                Personne ne doit s’étonner si les richesses croissent dans l’enfer;

                ce sol est le plus convenable au précieux poison

 

Bane en anglais, c’est le fléau, le poison, la malédiction. C’est la convoitise, et l’argent tout puissant qui s’infiltre dans tout et pourrit tout de l’intérieur. Mais c’est également la malédiction que dieu inflige à Prue avec le bec-de-lièvre qui la défigure, et qui, pourtant, lui permet également de trouver une certaine richesse intérieure :

 

             J'en suis venue à penser que cette bénédiction du grenier m'était arrivée parce que j'étais maudite. Car si je n'avais pas eu un bec-de-lièvre pour me faire peur et me faire entrer dans la solitude de mon âme, cela ne me serait jamais arrivé. On aurait entassé les pommes en vain sans voir de merveilles, car je n'aurais jamais connu la splendeur cachée de l'autre côté du silence.

             Au moment même où ces pensées me traversaient, cette chose adorable a soudain surgi de nulle part, et elle s'est logée dans mon cÅ“ur, comme une graine venue du tréfonds de l'amour.

 

La première traduction de l’œuvre par Jacque de Lacretelle occulte cette allusion à Milton et prend le nom du personnage comme titre. Avec Précieuse malédiction, j’ai tenté de garder cette allusion afin de ne pas perdre l’idée de prédestination et le côté très biblique du livre. Pour Milton, dieu envoie aux hommes des fléaux que l’homme ne peut comprendre, mais qui l’aide à s’élever vers lui. Il met aussi en garde contre  ce si précieux poison, cette malédiction qui se nourrit du sang de la vie.

 

Histoire de l’œuvre

Publiée en 1924

Reçoit le prix Femina Vie Heureuse en 1925

Traduite en français en 1930 sous le titre Sarn

Adaptée en 1957 par la BBC en une série télévisée de six épisodes

Adaptée en téléfilm en 1968 par Claude Santelli sous le titre Sarn

En 1989, la BBC décide de faire une seconde série sous la direction de Christopher Menaul

Traduite une seconde fois en français en 2015 par Catherine Gerber

 

 

Quelques extraits :

Les souvenirs gravés :
Et si cela vous parait étrange qu'une enfant si jeune se souvienne si clairement du passé, rappelez-vous que le Temps grave ses images dans notre mémoire comme un garçon graverait des lettres avec un couteau, et moins il y a de lettres, plus les entailles sont profondes.
 

 

Des questions sur la vie prochaine :

 

Je commençais tout juste à me demander comment on revenait lors de la résurrection. Est-ce qu’on revenait clairs, ou sombres, comme le reflet dans l'eau ? Père reviendrait-il dans un accès de colère, tel qu'il est mort, ou en petit garçon courant vers grand-mère, un bouquet de primevères à la main? Mère aurait-elle ce même sourire, ou bien aura-t-elle réussi à trouver une lumière dans le passage sombre ? Serais-je encore enfermée dans un corps que je n'aimais pas, ou pourrais-je me tisser un corps que j'aimerais sur le métier à tisser de mon âme ?

 

La mort ?

 

Là-dessus, il se mit à faucher l'herbe rare pleine de marguerites qui soupirait dans un bruit sec. Et comme elle était si peu fournie, on pouvait voir la lame, pareille à un éclair d'acier dans l'herbe haute avant que l'andain ne tombe. Et il me semble à présent que c'était comme la volonté de mort de Dieu, qui attend toujours derrière nous jusqu'à ce que vienne l'heure de nous faucher ; non pas par méchanceté, mais parce que c'est mieux pour nous de ne plus grandir dans la prairie, et d'être mis à l'abri dans sa meule, protégés par le chaume de son amour éternel.

 

 

L'amour

J'écoutais les merles chanter tout près et au loin. Quand ils étaient loin, on pouvait à peine distinguer leur chant de celui des autres oiseaux, car ils étaient toujours nombreux à enchanter les lieux, grives, roitelets, linottes aux sept couleurs, mésanges, pinsons, et bruants. C'était une étoffe faite de nombreux fils, avec un fil maitre en or très clair, une musique très agréable à entendre.

 

Je me dis que peut-être l'amour était ainsi, beaucoup de fils de couleurs, et un fil maitre en or pur.

 

 

Madame Beguildy m'a raconté qu'il venait et frappait, et Jancis courait à la porte dans sa plus belle robe, des rubans ou une fleur dans les cheveux, et elle passait tour à tour du rouge au blanc. Et ça, je l'ai vu aussi de mes propres yeux, quand elle venait nous voir, et qu'elle haletait sous son foulard, et je me demandais comment ça se faisait. Car pour moi, Gédéon n'était que Gédéon, alors que pour elle, il était le feu et la tempête, et le printemps même, et sa voix était la voix du Dieu tout puissant.

 

 

Gédéon amoureux :

Et il me faisait penser à un saule pleureur par un jour d'été sans vent, tout à ses pensées au-dessus de l'eau. Il était comme l'if à la porte du cimetière qui rêve toute l'année, et garde son rêve aussi secret que son fruit rouge sous les branches. 

 

 


 

 

 

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